J'ai l'impression que ma mémoire me fait défaut. Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me dit d'écrire tout ce qui m'est arrivé depuis le début. Encore faut-il que je m'en souvienne... Bref, allons-y. §gJour 1§r §iEnfin je crois...§r J'essaie d'ouvrir les yeux mais mes paupières semblent avoir fusionné. Ma respiration est difficile, mon corps est engourdi. J'ai l'impression d'être tombée de mille étages. Petit à petit, je me remets de cette chute, si je peux appeler cela comme ça. Je ne suis sûre de rien. Je me lève et retombe immédiatement. J'ai froid. Terriblement froid. Je me sens humide. Lorsque ma vue s'éclaircit, je me rends compte que je suis dans un marais. Au milieu de nul part. 1 puis 2 puis 3 et une multitude d'arbres s'étend à perte de vue. Comment est-ce que je suis arrivée là ? Je sens comme une piqûre à la tête. Intense et précise puis... plus rien. §gJour 2§r Plic, ploc, plic, ploc, plic, ploc. Je suis très vite prise d'agacement à cause de ce bruit. Je me lève d'un bond. La force que je n'avais pas hier m'est soudainement revenue. Une rage m'envahit. Il me manque quelque chose. J'ai une sensation de vide dans mon estomac, que je ne comprenais pas à ce moment-là. J'ai faim. Terriblement faim. Je ne saurais pas l'expliquer mais à cet instant précis, c'est comme une évidence. Je fonce. Je ne sais pas où, mais je file droit. Puis je fais un bond. Peu maîtrisé, mais assez puissant pour attraper un fruit accroché à un arbre. Je l'enfourne. Sans aucune finesse. §gJour 367§r C'est long. Terriblement long. Les jours passent, mes sens s'affutent. Ma nudité me donnait froid, alors je me suis couverte avec ce qui environnait. Chasse, pêche, cueillette. C'est un peu mon quotidien. Aujourd'hui je me suis lancée un défi : attraper le gardien du lac. Je n'ai jamais réussi à m'en approcher. C'est la raison pour laquelle je l'ai dénommé ainsi. Le temps est passé vite mais je n'ai toujours pas gagné en délicatesse. Toutefois, je me sens agile. Je plonge dans l'eau et me dirige vers sa cachette, mon pieu en main, prête à le planter. Je connais son tempéremment furieux. Il enfouit une colère noire qui embrase son coeur dès qu'il sent une présence. Lorsque j'entends ses hurlements, j'ai comme l'impression qu'il n'est pas mauvais mais qu'il souffre. Il souffre terriblement. Pour la première fois, il ne se contente pas d'hurler. Jusqu'aujourd'hui, toutes mes tentatives d'approche se sont soldées par un échec. Je ne l'ai jamais vu jusqu'à ce jour. J'ai réveillé la bête. Tout l'écosystème aquatique se met à trembler. Je gaine, prépare mon pieu, me concentre, prête à le planter entre ses deux yeux. Une ombre me fonce dessus. Je n'ai pas le temps de la distinguer. Tous mes sens sont en alerte. Je ne peux pas rester là. Je suis pétrifiée. Mais il faut que je bouge. Je ne réagis pas assez vite et je me prends un pique dans la cuisse. Je n'ai pas le temps de réagir. J'ai besoin d'air, mais je dois nager. Ma peau me brûle. Mais je n'ai pas le droit de m'arrêter. Cette bête n'a pas l'air vivante. Elle hurle sa souffrance mais son aura transpire la mort. Elle m'attaque avec la sincère intention de mettre fin à mes jours. Je nage avec la sincère intention de sauver ma peau. À cet instant précis, je ne sens plus ni douleur, ni manque d'air. Je fonce juste pour me sortir de là. Tout droit. Puis... plus rien. §gJour 592§r Je ne sais pas depuis combien de temps j'ai atterri ici. Tout le monde est si gentil avec moi, à tel point que je n'ai parfois plus l'impression d'être autonome. Pourtant, il faut que je parte d'ici. Les premiers jours, j'avais du mal à comprendre ce qu'il se passait. Ces êtres s'adressaient à moi mais je ne comprenais absolument rien. Au fil des jours, j'ai commencé à associer leurs gestes aux mouvements et aux sons de leurs lèvres. J'étais particulièrement proche de l'un d'eux. Je lui ai donc demandé de m'aider à partir. §gJour 593§r "Je ne vais pas pouvoir t'amener plus loin." Il esquisse un geste avec ses lèvres que je ne savais pas qu'il s'appelait sourire à l'époque. Je tente tant bien que mal de le lui rendre. C'était sûrement ma première tentative. J'ai lu sur son visage de la surprise mais également une joie profonde. De l'eau coulait de ses yeux. C'était la première fois que je voyais ça. J'ai paniqué. Il l'a certainement vu car il a posé sa main sur ma joue. Comme pour me dire que tout va bien. Je l'ai compris à son contact. Il a ensuite esquissé à nouveau un sourire. "Ici, tu es à Raloma. Apprends, évolue et cherche à intégrer l'Ordre." §gJour 1 051§r La Baronne de Clairvallon m'a acceptée dès mon arrivée. Même si je ne dirais pas que cela a été simple. Des tests. Encore et encore. De longues journées à apprendre des notions diverses et variées. Jusqu'à ce que je comprenne la notion d'homme et de femme, les relations sociales, les sentiments, la science, les courants de pensées, ma force et surtout, ma remortalité. C'était très difficile à comprendre au début. Je ne voulais pas l'admettre. Il faut dire que je me suis rapprochée des autres au fil des cyclames et maintenant, on me dit qu'il est possible que je ne revois pas certain d'entre eux. Je ne l'ai pas accepté pendant une très longue période. C'était douloureux. Terriblement douloureux. Jusqu'à ce que la Baronne de Clairvallon me propose de rejoindre la Marine. Ce jour-là, j'ai compris ma condition, ce qu'elle valait, ce qu'elle pouvait apporter et ce qu'elle pouvait protéger. §gJour 1 186§r "Prépare-toi, nous allons au Rocher. L'Ordre est de passage." Un nom que j'ai souvent entendu. Toujours de manière très floue. Mais je pense que c'est la première fois que je suis prise d'un tel sentiment : "Apprends, évolue et cherche à intégrer l'Ordre." Les mots de celui qui m'a permis d'en être là aujourd'hui ont résonné en moi lorsque la Baronne de Clairvallon a prononcé cet ordre. Ils le savent peut-être. Ils le savent même certainement. La cause de ma condition. Ils pourront peut-être m'apporter une réponse. C'est même certain. D'ailleurs ils ont plutôt intérêt. Bon. Je pense avoir écrit les étapes principales de mon parcours. Ce jour-là, j'ai à peine aperçu cette bande d'érudits de loin. La Baronne m'a catégoriquement interdit de les approcher. Ce serait, selon elle, irrespectueux. Moi, je n'oublie pas les mots de mon ami d'antan. Ni l'impatience qui brûle en moi de comprendre ma condition. Aujourd'hui, je suis donc devenue Capitaine de la Marine. Mes chances d'être en contact avec l'Ordre ont donc été décuplée. En attendant, j'ai faim. Terriblement faim... Mais cette fois-ci, c'est d'apprendre.

En attente.